​Plaidoyer pour la liberté de la culture et du cinéma Simulacres et tartuferies tournent au vertige et au vinaigre

Quelle culture offrir au citoyen de demain pour forger sa personnalité ?


Par Dr. Moulay Ahmed Drissi *
Mercredi 3 Juin 2015

​Plaidoyer pour la  liberté de  la culture et du cinéma Simulacres  et tartuferies  tournent  au vertige  et au vinaigre
Il faut que Mawazine ait lieu dans toutes les villes du Maroc! Comme ce fut le cas des concerts dans les stades qui animaient la vie artistique à l’époque  de Hassan II. Et ces activités doivent avoir lieu chaque mois. Où est passé le théâtre? Seulement à la télé. Que sont devenus les cinémas, ces chapelles de cités et autres scènes de quartiers? Tués par les cassettes, puis remplacés par des DVD. Où sont les lecteurs, quand il y a si peu d’encouragements aux penseurs et aux écrivains? Où sont les librairies? Elles sont devenues des papeteries et des immeubles en béton.

Culture et bavures contradictoires

Il y a deux jours, Jennifer Lopez était en concert à Mawazine à Rabat. Une dynamite époustouflante, qui fut reprise in live, sans censure ni coupure, sur 2M.
C’est une plaidoirie sculpturale, au profit du cinéaste, qui a été démonisé. Il y a de quoi rêver, à en rester perplexe et ahuri. Ses déhanchements lubriques, ses extatiques ondulations sur scène, plaisent aux jeunes et plaident pour le « Much loved » de Ayouch, dont le film est proscrit. Match nul !

Des plages de libertés

Il y a là aussi des femmes, en bikini, plus nues encore que la diva. Mais il faut attendre l’été pour les voir, comme des sirènes sur les plages… Dignement, librement, sans entraves ni censure, et qui plus est pour tous, en famille et gratuitement. Mais là, les gens ont le choix, il y en a qui n’aiment pas le soleil et ne le supportent pas, et ils n’y vont pas. D’autres ont leurs raisons, la pudeur religieuse les en empêche. C’est un credo respectable. C’est leur devoir, leur morale et leur droit. 
Ces exemples plaident en faveur du filmographe, cet artiste, chercheur dans les rues et les bars, explorateur de nos écarts, qui a été sévèrement diabolisé. Si le peuple des bidonvilles et des barmaids parle le langage trash et cru des filles de joie du film de notre cinéaste, ça laisse les bonnes gens échaudés et refroidis à la fois. Faut-il penser que le peuple soit émasculé et sourd aux envies? Il y a beaucoup de scanneurs de fesses, assis aux abords des cafés. 
C’est une culture. Faut-il les emmurer pour leur éviter de zyeuter les passantes et les passants? Car c’est bien désagréable de se sentir suivi par leurs lasers pénétrants. Et, c’est a minima, comme du harcèlement.
Faut-il dire de nos gens que c’est un peuple de dévot, de mystiques intimidés, qui ne comprennent rien aux paroles de Jennifer et qui ne lisent que les sous-titres de ses rares vêtements ? Et que seuls les dévoyés et les voyous perçoivent le sens érotique et les contorsions lubriques de J LO. 
Des mordus, en panne de gémissements, qui s’en excitent et s’enivrent, comme s’il n’y avait pas de vraies femmes au pays pour les rendre heureux ? Sauf que là, près de chez eux, dans la capitale, là sur scène et pour de vrai, ce n’est pas un jeu d’actrice de cinéma, à deux sous, mais une dame onéreuse, une vraie bombe, en chair et en os qui les enchante ! Avec de la musique et de la danse, à la place des mots ! 
Damner le premier et lui permettre de jouir de ses libertés à la seconde, est aux antipodes de l’équité ! Elle, qui a été bigrement honorée, lui quasiment menacé physiquement, est antinomique et partial. Simulacres et tartuferies, gouvernance délicate, cette mascarade tourne au vertige et au vinaigre. Et comme pansements, il y a cette permissivité qui est de louvoyer autour de nos erreurs et de nos fourberies, appelant l’oubli à nous en pardonner ! Et comme résilience, de nous complaire dans nos erreurs, pour nous surpasser et avancer.
 
Le loup de Mégarama

Les censeurs haletants, se sont-ils tus? Je ne le pense pas. Ce film a eu un impact essentiel inespéré! Social, politique, culturel, alors qu’il n’est même pas sorti! Pour appuyer mon hésitation, on me réfère au film projeté au Mégarama, à savoir : «Le loup de Wall Street», avec Leonado Di Caprio. J’y ai vu des scènes hautement érotiques, dans ce film qui n’avait pas été interdit. Des prises de vue de fesses nues, striées de poudre que l’acteur sniffait. Argent, drogues, positions lubriques des faunes et des démones de lits, rien ne manquait. 

Je n’accable personne

Je ne juge même pas. J’observe un conflit. On ne comprend plus rien, on ne se comprend pas, non plus. On ne sait plus qui nous sommes, ni où l’on va. On ne sait plus quoi voir ni ce que l’on voit. On ne retient que ce qui est interdit… Attention les mafiosos libertaires sont là. Je fais encore allusion aux années de prohibition…  
Je réclame un diagnostic, social, anthropologique, scientifique, psychologique, médical, cultuel et politique, à la fois et à froid. Parce que nous sommes destructurés, paumés et déchirés, entre deux clans opposés sur cette question. 
Cela rejaillit sur l’enseignement, son niveau ou sa nullité, ses horizons, sur les langues usitées, leurs contenus, leurs impacts sur la famille, le travail et la citoyenneté. Donc sur la communauté entière et sur la politique du pays. Tout se confond. La livraison est hypocrite. On ne se comprend même pas.
Regardez les réunions et comment les harangues des partis politiques, qui profitent des différences, incriminent et diabolisent l’autre en brûlant à mort cet autrui. Ils, les parangons, s’entredéchirent à l’image des injures proférées et des pugilats. Autant de cirques de gladiateurs et de tribuns meurtriers. Pire que du temps des Romains ! Et pour le sentir, il y a ces tweeters et ces textos, envenimés et arrogants, qui ternissent les forums. Et leur ouverture publique, pour la compréhension et l’entendement.

Les jeunes, de la culture
 à la politique


A la fin des struggles, on livre le Parlement au chômage des absents. Et au silence, le pays, et ce durant des mois entiers. Le choc des Titans, j’en ai assez parlé avant !  Un vide complexe, sinon des attentes sidérées et des simagrées, pour se remplacer, les uns par les autres, bizarrement et n’importe comment. Un échangisme, torride, caricatural et antinomique, simiesque et comique, avec les ennemis d’hier. Des anges démonisés qui deviennent subitement des complices tolérants. Les comparses d’aujourd’hui sont-ils nos amis ou nos ennemis de demain ? Tant mieux, si l’on se regroupe. Mais tout le monde ne saisit pas ces « nuances de Gray », ces diatribes et puis ces assortiments. On ne sait plus où l’on est dans ce pays, le nôtre, aux 40 partis, si opposés et si complaisants ! Alternances, sans crédit pour demain ni pour la continuité. Demain, de quoi sera-t-il fait ? Et le profil du Marocains, qui s’en soucie ? 
Quoi enseigner comme culture, comme musique, comme art, comme filmologie ? Quels livres donner aux enfants et aux jeunes adultes, en mal de soi, dans leur pays ? Google, le Web, le leur dira, en les formatant! Au citoyen de demain, quelle culture lui offrir, pour forger sa personnalité ? Sa force, sa fierté, sa dignité, son identité, sont en mal de repères et de principes. Quoi leur enseigner? La diplopie!
Nos jeunes, notre éducation sont à réparer. Leur esprit est ailleurs, il n’est pas dans cette nationalité-là ! Désancrés du pays, qu’ils ne se reconnaissent pas, ils sont attirés par les fantasmes de ces horizons étrangers, qu’ils se revendiquent comme imagos et comme fans. Des horizons, à 15 km, à 15 mn, pour leurs libertés, leur argent et leur modernité. Il est extraverti, le Marocain, il est possédé par un spectre, par ceux qui le chassent, qui le détestent et le haïssent. 
Leur façon de voir le bonheur, aux jeunes adultes, la signification et le sens de la vie ne sont pas dans ce pays. Ils ont le corps ici et leurs idées ailleurs. A l’Est pour les uns ou au Nord pour beaucoup! Des complexes colonisés nous rassemblent, nous débilitent et nous usent. Mais on ne peut pas s’empêcher de marcher, ensemble, la tête haute, pour nos libertés et notre personnalité.
Dès lors, qu’est-ce qui peut leur convenir ? A nos mutants ! Quels arts doivent-ils pratiquer et l’ado et cet homme, mûri, enkysté et emmuré? Quels films doivent-ils regarder? Quelle liberté de choix leur garder et quelles possibilités de création ou de terne passivité? 

Populisme?

A quelle dose homéopathique de bonheur doit-on les livrer? Au kif que l’on veut promotionner et légitimer ? De quoi s’empiffrer. Non seulement au Rif dénudé, mais au Sahara désert et au paradis vidé. Un bel et nouvel alibi pour certains partis qui veulent qu’il y ait des médicaments dans le kif, de quoi soigner les dépits et les angoisses, les douleurs de tous les terriens. Programmes discutables. On est paumés. Prothèse politique ou thèse attractive d’une authenticité pâmée ? Une belle thérapie, qui nous vaut déjà tellement de haines, de malades aggravés et d’ennemis dépravés. A côté de chez nous, les braves soumis nous tirent dessus ! On nous descend pour notre régime, pour nos filles de joie, pour ce kif et pour ces relatives libertés. Annihilés, paralysés ou destructurés, nos jeunes, qui s’entretuent aux couteaux et aux «tcharmils» se sabrent. Armes au poing pour un phone ou des «espas» marquées qu’ils veulent arracher ou voler, là sur les abords des collèges, afin de s’acheter de quoi kiffer et s’intoxiquer. Alors, le kif est aussi ce péril de schizophrène. Certains le cultivent ou le vendent illégalement, parce qu’il rapporte beaucoup d’argent à blanchir pour ces gars, ou simplement des maladies et de la prison ! 
Bien de nos jeunes semblent livrés aux fantasmes des drogues. Mais aussi aux fantasmes des images virtuelles, celles des fortunes vite faites. Celles des boat-peoples ne les effraient pas assez ! Celles avec des horizons sanglants, qui interpellent les humains pacifistes, ne les répugnent pas assez. Que faire pour les en décourager ? Comme le témoignent les déchirements du Moyen-Orient, où nos référentiels et nos amis se déchirent, larga manu ! Des images barbares circulent. Celles des têtes coupées, comme des ballons lâchés, ces corps écartelés, ces femmes lapidées, ces fosses communes remplies et explosions à l’envie.
Le bug de Ayouch, qui a scandalisé le bon peuple, les éditorialistes, les polémistes des forums, est un révélateur de notre déchirement. De cet état de lambeaux culturels hérités, de notre patchwork cultuel fragmentaire et de pénalités diffractées. Il est la résultante de notre état postcolonial de peuple pacifiste, de terres et de campagnes, encore effritées et colonisées. Il est le reflet de notre bonhommie, de notre personnalité dissonante, aux multiples langues, souvent mal maîtrisées. Sommes-nous des schizophrènes, dépolarisés, extravertis sur deux mondes opposés ou plus? Et ce phénomène des femmes « Much loved »  d’un Ayouch, si mal aimé ? C’est un révélateur sociologique. Il doit, comme film à visiter et non conspuer, ouvrir encore plus de discussions, apaisées… Des vannes des politicards pas seulement, mais aussi des vannes d’idées à ouvrir, pour les exploiter, sans haine ni arrogance préconçue. Et ce afin de changer, d’évoluer sans hypocrisie, ou pour se défendre et s’en vanter. Et se détendre, pourquoi pas?
Les censeurs haletants, se sont-ils tus ? Je ne le pense pas. Ce film a eu un impact essentiel inespéré. Socio-politique, culturel, alors qu’il n’est même pas sorti. Pour appuyer mon hésitation, je me réfère toujours au film projeté au Mégarama, Le loup de Wall Street, avec Leonado Di Caprio et où rien ne manquait. 
Le film ne résout pourtant aucun problème. Pourquoi le demander à Jennifer ou à Ayouch? 

 * Président de l’Association des amis des myasthéniques du Maroc


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1.Posté par DR IDRISSI MY AHMED le 02/06/2015 21:31
Merci à LIBE et à l'USFP ,de permettre aux citoyens et aux associations , d'exprimer leurs diverses opinions et de faire montre de civisme et de militantisme .

2.Posté par DR IDRISSI MY AHMED le 03/06/2015 00:59
PS : IL EST EVIDENT QU'UN FILM LITTERALEMENT PORNOGRAPHIQUE A SES ADEPTES . COMME IL NE DOIT PAS PASSER AUX CINEMAS OFFICIELS , NON PAR PUDIBONDERIE , MAIS PAR RESPECT AUX MOEURS . CEUX DES TELES ET DES CINES COURANTS. CELA DOIT POUSSER AYOUCH A OPTER POUR LE HARD S'IL Y TIENT. MAIS, NE PAS TROMPER SON PUBLIC LAISSER PLUS DE RESPECT AUX FAMILLES ET AUX ORGANISMES REGISSEURS DES MAROCAINS .

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