​La vie de montagne


Par le Dr. Yossef Ben-Meir
Mardi 3 Février 2015

​La vie de montagne
C'est fort possible que les régions montagneuses, plus que tout autre terrain, présentent un paradoxe particulier, celui de la pauvreté dense coexistant avec un potentiel particulier pour la prospérité transformative.
Les conditions qui créent l'appauvrissement des populations de montagne sont enracinées à la fois dans des conditions contextuelles locales et générales. Les zones de montagne ont  souvent de l'eau en abondance, mais peu d'espaces pour la culture agricole qui reste limitée aux terrasses longeant les flancs de montagnes.
 Dans les chaînes de l'Atlas marocain, ce sont ces facteurs essentiels, en conjonction avec deux autres - la faible valeur marchande de l'orge et du maïs, cultures de base traditionnelles, et la croissance de la population - qui obligent maintenant les agriculteurs familiaux d'acheter au marché, en moyenne, la moitié voire plus de leurs besoins en cultures de base.
 Résultat, la pression de faire la transition vers la culture de rente, arbres fruitiers et plantes aromatiques le plus souvent, a augmenté la demande et les prix de ces graines, ce qui piège agriculteurs dans l'état de pauvreté de subsistance. Au Maroc et partout dans le monde, la plus grande proportion des pauvres habite donc dans l'ombre des sommets.
  
Cinq facteurs pour 
la transformation

Heureusement, nous pouvons surmonter cette situation et, comme l'ont démontré des programmes pilotes réussis, cela implique cinq facteurs majeurs.
 1. La hausse de la demande mondiale en produits biologiques a créé une ouverture pour les agriculteurs familiaux les plus défavorisés, qui - fortuitement, il s'avère maintenant - n'ont jamais eu les moyens financiers d'aller vers l'agriculture chimique. En implémentant tout simplement des modifications mineures, surtout en ce qui concerne la manipulation de leur produit, ils peuvent accéder à un marché spécialisé qui souvent va leur payer le double- ou plus - de ce qu'ils pouvaient espérer recevoir sur les marchés locaux.
 2. On a démontré que la condition sine qua non pour le succès des projets de développement humain est la participation du peuple lui-même dans la détermination de son propre avenir, et ce en décidant chaque étape du chemin et en prenant en charge la gestion de réelles activités de projet.  Vaincre la pauvreté de subsistance nécessite l'approche «apprendre en pratiquant» dans les matières techniques (liées à l'agriculture ainsi que dans d'autres domaines tels que l'éducation et la santé), dans le renforcement des compétences en gestion, de la recherche de consensus et dans l'opération.
 3. Bien que, théoriquement, les agriculteurs familiaux puissent faire certifier leurs produits comme bio, ils n'ont généralement pas la portée de marché nécessaire, qui s'étend au-delà des réseaux de distribution traditionnels, pour que leur produit soit traité et livré à des acheteurs dans le monde entier. C'est là que la construction de coopératives locales devient essentielle. Cependant, les relations avec l'extérieur contribuent aussi de façon critique; une expérience pilote avec des noix dans les montagnes du Haut Atlas a montré qu'une combinaison de modalités d'organisation à but non-lucratif/ à but lucratif assure la flexibilité nécessaire pour soutenir la croissance verte lucrative qui alimente le développement humain plus largement.
 4. L'utilisation efficace de l'eau, principalement par le biais de confinement de l'eau, de l'utilisation de l'écoulement par gravité et du goutte-à-goutte, donne deux effets positifs. Non seulement on voit les terres arables augmentées, souvent par plus de cinquante pour cent, mais également les nouvelles terrasses agricoles construites favorisent le ralentissement de l'érosion des montagnes, un phénomène courant qui porte trop souvent des conséquences dévastatrices.  Les dizaines de décès par glissements de terrain en montagne durant cette saison de pluie au Maroc ne devraient plus jamais se reproduire.
5. Un certain nombre d'arbres fruitiers et de plantes sont traditionnellement cultivés dans la région montagneuse du Haut Atlas sans l'utilisation de pesticides.  Ces espèces comprennent le noyer, le cerisier, le figuier et l'amandier, ainsi que le safran, les câpres et l'origan, pour ne citer que quelques-uns.  De nombreux avantages, notamment en évitant les vulnérabilités potentielles dans le marché et l'écologie, accompagnent la plantation à la fois des espèces autochtones et de la gamme d'arbres et de plantes bio possibles dans une zone.
  
Quatre questions pour 
le changement

 Notre célébration annuelle de la Journée internationale de la montagne a pour but  fondamental d'améliorer, par la bonne pratique, la vie des habitants de ce terrain à travers le monde.  Il est grand temps que, grâce à un partenariat public-privé, les gens qui cultivent des produits de subsistance - et qui veulent la plupart du temps continuer à vivre et à travailler là où ils sont - récoltent plus de sa valeur.  Cela peut se faire en leur facilitant la création d'une chaîne de valeur complète.  Posons-nous donc, en toute franchise, les questions suivantes:
1. Comment les terres seront-elles accordées pour des pépinières d'arbres et de plantes gérées par la communauté, réduisant ainsi les coûts, et créant un sens de partage de risques et plus d'autonomie au niveau communautaire?
 2. Comment l'installation de systèmes d'irrigation - généralement la plus coûteuse des initiatives constituantes la chaîne de valeur - sera-t-elle financée, sachant que la communauté fournirait volontiers la main-d'œuvre nécessaire pour assister à la mise en œuvre?
3. Les agences de mise en œuvre de développement vivront-elles parmi les populations qu'elles envisagent de soutenir et qui sont, surtout, les leviers de leur propre développement et ceux sur lesquels repose la durabilité?
4. Financerons-nous, comme il est de notre devoir de le faire, les jeunes chaînes de valeur, pour ne pas les refuser catégoriquement, alors qu'elles peuvent n'avoir besoin que d'un composant unique, tous les autres étant déjà en marche?
La vie de montagne a une intégrité particulière, et elle est aujourd'hui confrontée au taux apparemment insuffisant d'opportunités réalisées ainsi qu'à l'énormité du potentiel encore à accomplir. Néanmoins, avec les chemins de réussite prouvés actuellement, nous attendons comment la vie évoluera d'ici un an ...

 * Président de la Fondation 
du Haut Atlas.


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